lundi 28 avril 2008

La peste

Un billet d'humeur, juste pour me purger de mon agacement afin de ne pas aller me coucher avec l'estomac perturbé (de quoi faire des cauchemars !).

Un ami m'a envoyé un lien vers la critique d'un livre apparemment intéressant, "Le nouvel inconscient" de Lionel Nattache, neurologue et chercheur en neurosciences.

Je ne parlerai pas du livre, que je n'ai d'ailleurs pas lu, mais de l'article. Il est détaillé et ne manque pas d'intérêt, mais il est entaché d'un "anti-psyisme" horripilant.

Scrupuleux quant à l'ouvrage commenté, il rapporte tout de même que celui-ci, loin de dénier tout intérêt à la psychanalyse, dit simplement que l'existence de l'inconscient au sens freudien ne peut pas être démontrée par les neurosciences, que ce n'est pas un concept scientifique, bien que la psychothérapie ait son utilité.

Malheureusement le journaliste, au fil d'une critique fouillée de l'ouvrage et quelques informations annexes qui donnent envie d'aller y voir de plus près, ne rate pas une occasion de démolir en règle (et de façon primaire) toute approche psychologique ou psychanalytique et ses pratiquants. Un vrai règlement de comptes !

Contrairement au neurologue, dont le point de vue est apparemment bien plus ouvert (avec une curieuse mais intéressante conception de la psychothérapie comme "jeu de rôle virtuel à deux"), l'auteur de l'article semble un adepte de cette nouvelle religion qui fait des ravages :
- credo = hors des neurosciences, point de salut.
- antéchrist = le psychanalyste : parasite, vampire, honteux privilégié suçant la substantifique moëlle du malheureux patient qui n'est pourtant, comme le sait tout adepte digne de ce nom, qu'un réseau de cellules - dont nerveuses - dénué de toute dimension autre que physique.

Pour ce qui est du "tout neurosciences", je vous renvoie à mon article "Le miroir à mille facettes", sur l'étude de l'esprit humain. Mais pour l'acharnement contre les psys, j'ai besoin de réagir. J'en brutalise mon pauvre clavier, qui n'y est pour rien !

J'ai eu la chance de connaître personnellement (hors du divan) plusieurs psychanalystes. Contrairement aux idées reçues, ou aux allusions lourdingues d'un zélote à vue étroite :

- Ce ne sont pas tous des millionnaires, bien loin de là ! Tarifs adaptés au budget des patients, crédit, séances gratuites ou au dixième du prix de référence, pour un chômeur par exemple, afin que chacun puisse bénéficier d'une analyse en fonction de ses moyens. Et cela après des années d'étude et une (longue) analyse personnelle;

- Loin d' "avoir la grosse tête" et d'être enfermés dans leurs certitudes, ils cultivent le doute, la remise en question, et sont ouverts à d'autres approches, y compris scientifique;

- Très loin d'être les parasites suggérés, ils sont profondément concernés par les problèmes de leurs patients. Le lien avec eux n'est pas qu'une question d'attention somnolente pendant une demi-heure puis "passez la monnaie !" et je vous oublie totalement jusqu'à la prochaine séance. Bien au contraire, il s'agit d'un investissement énorme et très prenant qui fait partie intégrante de leur vie, en permanence.

Je les aime, ces gens-là, ce sont tout simplement des gens bien ! Et j'en ai assez de voir décriés une profession et des professionels qui finissent par devenir les boucs émissaires d'une société privée de ses repères qui se raccroche à "la science" comme à la solution de tous ses maux, la réponse ultime aux questions existentielles.

"J'apporte la peste", aurait dit Freud en arrivant en Amérique. Une peste, oui, cette discipline difficile qui est tout sauf du formatage, qui vise plutôt à nous libérer du conditionnement dont notre éducation nous a imprégnés qu'à nous "normaliser". Les régimes totalitaires se sont méfiés... comme de la peste ! de la psychanalyse. Ce n'est pas pour rien...

Ce n'est pas une science exacte, c'est vrai. Elle apporte plus de questions que de réponses, c'est vrai.
Elle amène à se remettre en cause, à douter, elle est inconfortable. Elle n'est pas "zen".
Elle n'apporte pas une solution pré-mâchée à vos problèmes. Elle ne vous offre pas une épaule pour pleurer, mais vous fait faire un travail qui sans doute vous fera pleurer toutes les larmes de votre corps.
Elle ne s'adresse pas aux petits robots bien dociles et qui veulent le rester. Elle ne fait pas de vous des petits robots bien dociles. Juste des êtres humains.

12 commentaires:

  1. Euh… ça-y-est, t’es calmée ? Je peux dire quelque chose ? Le combat que tu relates est assez vieux et perdurera sans doute encore longtemps.
    Il est vrai que fondamentalement nous ne sommes qu’un amas cellules interconnectées les unes aux autres, que nos réactions sont faites de réactions chimiques et électriques. C’est un fait avéré. Mais toutes ces connections, ces réactions, ont un effet que la science ne sait, ou ne peut pas, appréhender. Appelles ça comme tu veux, l’esprit, la conscience ou même l’âme… Et là, la science patauge puisque dans un cerveau, deux plus deux ne font pas forcément quatre, mais peuvent faire cinq, ou même 14853.
    C’est également là que ce trouve la différence entre un psychiatre et un psychologue dans le traitement de la dépression par exemple. Le premier va altérer ton comportement en jouant sur la chimie de ton cerveau, le second va t’aider à trouver une solution via ton imaginaire et tes expériences… C’est toute la différence entre croire que les êtres humains sont tous faits du même bois et croire en l’unicité de chaque personne.

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  2. Oh Oh !

    J'ai beau ne pas être une fan de la psychanalyse je comprends ton agacement (encore que le mot me semble faible). Dur à comprendre qu'on puisse cataloguer des gens, dur à comprendre qu'on puisse nier l'existence de l'inconscient et le plus dur à admettre est sans aucun doute l'idée qu'il n'y ait qu'une seule vérité. Sinon je crois qu'il y a une faute de frappe dans le paragraphe 3, on ne peut pas maltraiter son clavier sans que celui-ci ne finisse par prendre quelques libertés.

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  3. Ecrire mon post m'a défoulée, merci Gwendal :)

    Bien résumé (en plus calme) ! "Nous ne sommes qu’un amas cellules interconnectées (...). Mais toutes ces connections, ces réactions, ont un effet que la science ne sait, ou ne peut pas, appréhender."

    Ce qui me choque souvent, c'est justement cette croyance, avec parfois une forme de fanatisme, que la science peut (et doit) tout expliquer, au lieu de la considérer comme un moyen parmi d'autres d'appréhender l'être humain.

    Heureusement la différence n'est pas toujours si grande entre psychologues et psychiatres (dont beaucoup sont aussi psychothérapeutes) car ces derniers peuvent utiliser la chimie comme un outil utile sans méconnaître pour autant la dimension psychologique. Ils peuvent adopter l'une ou l'autre approche selon le cas... quitte à adresser à un confrère pour une psychothérapie en parallèle si eux prescrivent un traitement.

    C'est déjà un peu de cette complémentarité qui me paraît indispensable !

    Répondant à l'ami qui m'a communiqué ce lien, je faisais une comparaison avec la mécanique quantique (j'avoue que je n'y comprends pourtant pas grand chose) : "où l’électron est considéré alternativement comme une particule ou une onde : deux approches, toutes deux valables et coexistantes, d’une même réalité. Il faut utiliser ces deux points de vue, particulaire ( ?) et ondulatoire, pour rendre compte de la réalité : un seul n’y suffit pas… même si intuitivement on ressent cette coexistence d’une double nature comme tout à fait impossible !"

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  4. Merci de ta compréhension, Roxane. C'est vrai qu'il y avait là quelques petits points durs à avaler, mais je regrette un peu de m'être autant emportée, jusqu'à employer des expressions violentes qui me font aussi fanatique que certains admirateurs un peu trop exclusif des neurosciences. Je réviserai peut-être ce texte, d'ailleurs. Il faut dire que j'ai fumé comme un pompier en écrivant et la nicotine à cette dose surexcite !

    Merci aussi de me signaler une faute de frappe ! J'espère bien que tu continueras à le faire :)
    Ceci dit, à la relecture je n'ai encore trouvé qu'une faute : "anti-psyisme". Mais là je dois, après les psychanalystes, prendre la défense de mon stoïque clavier : le barbarisme est de moi seule ! Pressée, je l'ai utilisé à la place d'une longue tournure comme "attitude aveuglément critique, presque diffamatoire, envers la psychanalyse, les psychanalystes et autres psys en tout genre". C'est plus court ;) même si ce n'est pas très joli. Si un autre terme existe, je l'ignore...

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  5. Et zut ! Sans doute pour te donner raison ;) j'ai zappé un "s" de pluriel dans ma réponse : il y a bien une faute de frappe. Sale clavier !

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  6. Bonjour Fantôme!
    Oui, n'hésite pas à dire ce que tu as sur le coeur, et ne t'excuse pas! Il n'y a pas de solutions techniques en neuroscience, ça se saurait, ça marche de temps en temps les cachets, et "de temps en temps", ça n'est pas un terme scientifique.

    Derrière la neuroscience se sont cachés les ablations, il n'y pas si longtemps, les électrochocs aimablement rebaptisés sismothérapie, et une foule de produits agissant sur les neurotransmetteurs avec moins d'efficacité que l'alcool...

    Alors heureusement il reste la psychanalyse et les psychothérapies. Et l'écriture! Vas-y! Oui ce sont des gens biens.

    Merci aussi pour tes coups de gueules.

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  7. Bonjour Siréneau :)

    Je ne sais pas si on peut associer les neurosciences (plus subtiles, j'espère) aux "traitements" genre lobotomie ou électrochocs, mais l'approche purement physique n'a effectivement pas toujours été très concluante dans le passé...

    Quant aux produits, ils sont certes moins agréables qu'un petit verre (de tequila, pour moi, svp) mais comme tu dis : "ça marche de temps en temps", ou dans certains cas.

    Donc vive la psychothérapie et l'écriture ! En tous cas, comme catharsis l'une et l'autre sont bien utiles ;)

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  8. Bon alors au temps pour moi, je croyais vraiment que ton clavier sournois avait zappé les 2 lettres.
    biz

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  9. Oh je suis séduit par ton psyisme, néologisme fantômal par excellence, tu peux en être fière; psy-isthme si délicatement rattache le corps à l'esprit comme un long cou gracile mais fragile, il est tentant de le neuroscier c'est tellement plus simple et réducteur, mais non, la presqu'elle va renforcer son rivage lacanien de cordes jungulaires en freudonnant de belles terres happy.

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  10. Bien belle et poétique description de cet isthme vital. Comme quoi il faut qu'un mot soit lu pour rebondir, grandir, s'enrichir de sens, si squelettique qu'il soit à sa naissance.

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  11. J'adhère totalement à tes idées, j'ai eu, dans un passé relativement proche, plusiseurs séances avec un psy que j'ai d'abord pris (je l'avoue) d'assez haut, puis au fil des séances, j'ai constaté le chemin que j'ai parcouru au gré de questions qui me semblaient insignifiantes. Finalement cela m'a libéré d'anciens démons qui hantaient ma vie et pourrissaient celle des autres !!
    Aujourd'hui je vois clair et me permet même de donner quelques conseils (très humblement bien entendu).
    Fiat Lux !

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  12. J'ai l'impression qu'on se méfie toujours de la psychanalyse avant d'en faire une. Résistance psychique ou préjugés? Les deux sans doute. Il faut dire qu'il est difficile, sans l'avoir vécu, d'imaginer la liberté de parole, la spécificité du cadre aussi, que l'on découvre au fil des séances.

    J'aimerais pouvoir traduire en mots cette expérience, pour en donner un aperçu fidèle à ceux qui à mon avis en retireraient beaucoup, des gens en souffrance dont j'ai parfois l'impression de voir affleurer les problèmes de fond qui leur empoisonnent la vie sans qu'ils puissent les voir.

    As-tu remarqué comme le regard que l'on porte sur les autres, et pas seulement sur soi, est lui aussi enrichi, approfondi par l'analyse? Comme il devient plus facile d'accepter les gens avec leurs défauts, en les jugeant beaucoup moins, après s'être confronté à ses propres zones obscures?

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